Destination anywhere
« Embarquement immédiat pour tous les passagers du vol F-458 à destination de Shanghai, hall 8, porte C ». Pour moi, le dépaysement de vacances passées à l’étranger commence ici, à l’aéroport. Ce lieu froid, gigantesque et impersonnel, où tout le monde court dans tous les sens, où toutes les nationalités se croisent, révèle pourtant une belle dose d’exotisme et de choc des cultures. Les écrans de contrôle affichent inlassablement les destinations desservies, les équipages trottinent dans les couloirs en arborant fièrement les couleurs de leur compagnie aérienne, et les voyageurs s’observent du coin de l’oeil, pour passer le temps entre les différentes formalités douanières.
Il est d’ailleurs fascinant de constater que certaines valeurs restent sûres et immuables. Le Japonais, par exemple, se balade exclusivement par paquet de 25, avec appareil photo en bandoulière et casquette/bob/chapeau ridicule en série. Je confirme également une ancienne légende urbaine : il aime mitrailler tout ce qui bouge (oh, un pote devant le comptoir d’enregistrement des bagages ; oh, un pote qui s’achète un Fanta orange à la buvette de Roissy ; oh, un pote assis près du hublot ; oh, un pote qui fait semblant de dormir près du hublot…). Les Allemands, eux, seront reconnaissables en un coup d’œil grâce à leur impérissable don esthétique du duo tongues + chaussettes, chaussettes qui, dois-je le rappeler, remontent le plus haut possible sur la jambe.
Cela dit, au même titre qu’on est toujours le con de quelqu’un, je présume également que chacun de nous est le touriste d’un autre. Je connais un sacré paquet de coréens ou de thaïlandais qui ont du se marrer comme des baleines devant nos accoutrements de fiers représentants de la classe « à la française ». Et y’a de quoi faire aussi, faut pas croire !
Remarquez, y’en a à qui ça doit plaire. Je ne devrais pas faire la fière comme ça, mais au Maroc, on a tout de même proposé à mon copain de l’époque 250 chameaux pour qu'il m’abandonne sur place. C’est pas rien, quand même. Faudra juste que je pense à checker la côte du chameau au CAC 40, mais globalement, j'étais pas tellement flattée, comme ils avaient tous l'air de le croire...
Les voyages, c’est aussi souvent synonyme de visites guidées. Avec leur lot d’explications historiques, d’anecdotes décalées, et leur cortège de touristes plus ou moins captivés par les grands discours des guides.
Là, c’est comme à l’école. Au premier rang, il y a celui qui prend des notes (si possible sur un carnet ridiculement minuscule qu’il ne relira jamais), pour faire genre « c’est moi le meilleur de la classe ». Bien mignon, tout ça, mais faudra lui dire, quand même, qu’à la limite, recopier son Guide du Routard, c’était aussi vite fait. Et qu’à force d’avoir le nez plongé sur son cahier, il loupe les trois quarts de la vraie visite, celle qui se vit avec le cœur et les tripes, pas celle qui se lit dans les bouquins.
Il y a aussi celui qui s’obstine à poser mille et une questions au guide, soit histoire de voir si celui-ci a réponse a tout et a donc bien fait son job (un peu dans le genre « je l’aurai, un jour, je l’aurai », de la pub crétine pour la Maaf), soit juste comme ça, parce qu’il s’emmerde grave. Ex : « Comment ça s’appelle, cet oiseau ? ». « Heu… un corbeau. Vous avez les mêmes chez vous, en France. Mais si tu veux, je peux te dire le nom couleur locale, ça te fera des trucs à raconter… ».
On appréciera aussi particulièrement l’air dubitatif d’un grand sceptique à qui on ne la fait pas, ressortant du temple mythique de Louxor en marmonnant très sérieusement à son pote : « mouais… ça me parait un peu trop propre pour un truc vieux de cinq mille ans, ici ». Je crois que ça se passe de commentaires, à ce stade, non ?
Dans un tout autre genre, il y a aussi ceux qui choisissent de participer aux visites guidées, qui assistent aux visites guidées, qui payent les visites guidées, mais qui perdraient moins de temps à aller direct jouer au bar PMU du coin, pour peu qu’il y en ait un. Parce que quand un guide s’emmerde à nous raconter en long et en large la vie de Toutankhamon et de ses voisins de sarcophages, ces ahuris ne trouvent rien de mieux à répliquer que « si, si, j’ai vu qu’on pouvait avoir du Campari à l’apéro, c’est cool, j’adore ! ». Tsssss, franchement, ceux-là, z’auraient mieux fait de rester à l’hôtel sur le bord de leur piscine.
Encore que. Là non plus, c’est pas toujours de tout repos, croyez-moi. Essayez donc de roupiller tranquille avec en fond musical la voix-mitraillette de la parfaite mère de famille toujours sur le qui-vive : « Chloé, tu prends ta bouée », « Chloé, viens ici que je te mette de la crème solaire », « Chloé, arrête d’éclabousser les gens », « Chloé, maintenant ça suffit, tu sors de cette piscine », « Chloé, parles moins fort s’il te plait, tu ennuies tout le monde » (le comble, celle-là). Au final, Super-Maman a la parfaite impression d’avoir joué à fond son rôle de mère modèle (mais absolument pas celle de nous avoir cassé les noix), et a réussi à dégoûter tout le monde du prénom de sa fille.
Alors en fin de compte, les vacances, c’est le pied. J’aime, j’adore, je kiffe à donf’, même. Je pourrais vendre père et mère pour ça (presque). Mais y’a toujours une part infime de moi, bien enfouie, tout au fond, là, qui fait qu’à la fin, je suis quand même un peu contente de rentrer… Etrange, tout de même, non ?