Laissez-moi chanter
Je me voyais déjà en haut de l’affiche, en dix fois plus gros que n’importe qui mon nom s’étalait. Le problème, c’est que manifestement, ça n’a pas trop l’air d’être l’avis de tout le monde. ‘Tout le monde’ étant en l’occurrence le groupe d’amis chez qui j’ai passé ma soirée de samedi.
Au départ, pourtant, rien n’annonçait le drame acoustique que nous allions tous vivre. Non, au départ, ça partait bien. Soirée sympa entre potes, à la cool. Quelques verres, musique d’ambiance, on échange les derniers potins, « et la famille ? et les enfants ? et le chien ? et la Golf GTI 16S série 1 ?», super, super, quoi.
Et puis soudain, bam… le dérapage incontrôlé. La boulette. Ze fucking boulette. Dans un moment d’absence, sans doute, quelqu’un a pensé à haute voix, et a dit « hé, mais j’ai les cd de SingStar dans mon sac ».
(J’ouvre ici une parenthèse pour signaler aux incultes – et je ne blâme personne, j’en faisais encore partie samedi à 21h47– que SingStar est un programme de karaoké conçu pour les consoles de jeu genre Pléstéchieune et compagnie.)
Bon. Tu t’en doutes, public. Le gars qui a sorti cette phrase, somme toute assez banale pourtant, s’en mord encore les doigts (et les tympans) à l’heure qu’il est.
Les réactions ne se sont pas fait attendre. Grrrmmpfffffff, ont fait les mecs. Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii, ont fait les filles. On sentait déjà comme une certaine divergence d’opinion au sein de la tribu pourtant si soudée quelques minutes auparavant. Ah bah ouais, mais attends, faut pas nous mettre une carotte sous le nez et nous dire d’attendre encore trois heures avant d’aller manger.
« On veut chanter ! », qu’on a piaillé en chœur, nous les gonzesses. Les mecs se sont donc résignés. Ils allaient passer un sale quart d’heure et puis c’est tout. Moi, ce que j’en dis, c’est que ça vaudra pour toutes les fois où ça a causé scooter et moto pendant des plombes et que j’ai rien pigé à la discussion. Point.
Courageux, S. se lance le premier pour montrer un peu comment fonctionne le bidule. En même temps, perso, je l’ai grillé direct, j’ai bien compris que c’était surtout pour se débarrasser de la corvée une bonne fois pour toute et pouvoir aller boulotter ses dragibus peinard au fond du canapé en se foutant de la gueule des autres ensuite, hein. Mais bon, sur le fond, bravo : il est le premier à affronter le micro… et à ma-ssa-crer Gorillaz du début à la fin. Un véritable drame sonore en ré mineur. Désaccordé, le ré mineur. Même les voisins d’en face ont du fermer leurs fenêtres. Chapeau l’artiste. Mes respects.
Devant le spectacle, les mecs commencent à devenir verts. On les imagine déjà en train de s’inventer les excuses les plus pourries pour éviter de passer à la casserole. Dans le rang des filles, en revanche, c’est l’agitation la plus fébrile. Limite on se dispute pour savoir qui va chanter Britney ou The Cardigans. Pour couper court, on tranche : ce sera prestation collective. Basta. Devant les deux micros, quatre nénettes s’égosillent de plus belle sur Macy Gray, Robbie Williams, Camille ou Olivia Ruiz. Les fausses notes volent, les aigus percent, les fous rires couvrent la musique. Vous savez ce que ça veut dire « mémorable » ? Bon. Hé ben là, mémorable.
Les garçons sont consternés, et finissent par nous abandonner à nos vocalises pour aller se faire un poker entre mecs dans la pièce d’à-côté. On dira ce qu’on voudra, mais le partage des tâches au foyer n’est pas prêt de s’améliorer, avec une attitude pareille.
En revanche, pour critiquer, là, y’a du monde. Toutes les cinq minutes, l’un d’eux vient nous balancer des cacahuètes dans la tronche en gueulant « remboursez ! ». Ah non mais bonjour le soutien moral, quoi.
Après avoir chanté deux fois chaque chanson du cd ou presque, les cordes vocales en feu, on décide de faire une pause, par simple respect pour les voisins. Du coup, j’en profite pour me ruer sur m6.fr et m’inscrire au prochain casting de la nouvelle star.
…
Ouais, bon, ok, c’est vrai, je ne suis pas encore tout à fait au niveau de Cindy Sander. Mais en revanche, pour la choré, je suis au poil. Pa-pi-llon-de-lu-mièèèèèèère…