Toubib or not toubib
Juillet. Les chaises de bureau sont peu à peu désertées, la machine à café fait la gueule toute seule dans son bout de couloir, le téléphone ne sonne qu’une fois par heure et les journées s’écoulent plus vite, l’appel de l’apéro à la terrasse du coin étant le plus fort.
Dans ce climat légèrement feignasse, BigBoss, ayant sans doute peur qu’on ne s’ennuie un chouille, a choisi de nous réserver juste avant l’été sa petite surprise du chef. Un beau cadeau pour patienter tranquillement jusqu’aux vacances. Un pur moment de bonheur pour tous les salariés. Un truc qu’on attend avec impatience, tellement c’est fun et rock’n roll. En deux mots, j’ai nommé avec joie : la… visite médicale. Tadaaaaaam...
Comment te dire, public ? Comment décrire avec des mots simples le moment exquis que j’ai passé ?
La première partie du truc, purement administrative, ressemble à un entretien des renseignements généraux, questionnement en rafale et ton de caporal-chef inclus. Hormis les détails strictement personnels (nom, prénom, date de naissance, groupe sanguin, taille et poids (heu ?), date des derniers examens médicaux…), on se tape toute une série de questions plus ou moins débiles au sujet de nos conditions et de notre environnement de travail. Dans le genre :
- Combien de temps passez-vous devant l’ordinateur chaque jour ? (Ben ça dépend, en comptant ma lecture des blogs ou non ?)
- Quel est votre temps moyen de trajet pour vous rendre au lieu de travail ? (Ah, tout dépend si je fais un détour par la boulangerie pour les croissants, madame. Cette question est imprécise.)
- Les toilettes sont-elles loin de votre bureau ? (Les toilettes, ca va. Mais la machine à café, j’trouve qu’on aurait pu faire un effort, quand même…)
- Avez-vous une cantine sur votre lieu de travail ? (Non, mais avec les souvenirs de cantoche que j’ai, je crois que c’est pas plus mal).
- Votre bureau est-il bien aéré, bien chauffé, climatisé ? (Ah oui, super bien aéré en hiver, donc on se les gèle, et méga bien chauffé aussi en été, un vrai four ! La clim, oui, merci, j’ai plus le droit aux lentilles grâce à elle…)
Je ne vous fais pas le catalogue complet, sinon on est encore là demain, et moi, c’est pas tout ça, mais ce soir, j’ai poney.
Vient ensuite l’entretien médical, avec la dame en blouse blanche et son stéthoscope accroché autour du coup pour faire comme dans les séries, alors que franchement, aucun rapport avec Docteur Ross ou Docteur Shepperd, on est bien d’accord. (Faudra d’ailleurs qu’on m’explique un jour pourquoi – bordel, pourquoi ? – les infirmiers et médecins que je rencontre n’ont jamais la même dégaine que les beaux mecs en blouse dans la télé. Franchement, c’est à vous dégoûter d’être malade, cette affaire !).
Je me retrouve donc en petite tenue (coordonnée, pour l’occasion… des fois que j’aurais croisé un beau médecin encore loupé) à grimper sur la table d’auscultation, et à me faire palper le bidou et les cervicales par Madame Michu, qui me sort « vous êtes tendue en ce moment ? » (Ah ouais, sans déc’ ?!! Je suis en slibard dans un cabinet qui ressemble à une salle d’expérimentation médicale en Roumanie avant la guerre de 14-18, je me les gèle copieusement parce que manifestement, vous pensez que s’il fait 25° dehors, on peut se balader à oilpé sans souci dedans, et je ne sais même pas comment va se terminer cet entretien, mais sinon, noooooon, c’est cool, ça baigne, give me five ma caille).
Là encore, batterie de questions saugrenues, dont la meilleure reste quand même « vous faites tomber un objet sur le sol, que faites-vous pour le ramasser ? ». Gnééé ?!!! Rien que pour la saouler un peu plus, la madame Michu, j’hésite entre « je fous des coups de pieds dedans jusqu’à le faire disparaître sous un placard, hop on n’en parle plus, question suivante » et « je fais les yeux doux à un collègue pour qu’il le ramasse à ma place, et avec le sourire s’il vous plait », mais devant l’air de Cerbère de la dame qui n’a manifestement pas d’humour (ou pas le même que le mien, du moins), je ferme juste ma gueule, et je mime le truc. En gros, public, sache-le : faut plier les genoux et ne surtout pas te pencher dos droit, sinon, bobo. Ouais, même si c’est juste une feuille que t’as laissé tomber. Et même si t’as l’air con de faire du stretching pour une simple feuille. M’engueule pas, c’est la médecine qui a parlé. Douze ans d'études pour nous pondre ça. Hé ben.
Michu me fait ensuite asseoir à son bureau. Chouette, on va causer comme des copines, que je me dis. Tu parles. Elle fout des croix à tout va sur son (mon) dossier, marmonne des chiffres et des trucs incompréhensibles, et finit par me tendre un gobelet en souriant d’un air chelou.
Moi, pas méfiante pour deux sous : « Ah oui, un peu d’eau fraîche, avec plaisir ». « La fontaine d’eau est dans l’entrée, vous pourrez vous servir en partant. Le gobelet, c’est pour vos urines. Les toilettes sont à droite, vous déposerez le gobelet plein sur la petite tablette. Vous pouvez vous rhabiller, merci et au revoir ».
Et elle se casse, l’air de rien, après avoir lâché sa petite bombe.
Ah non, mais vraiment, le sens de l’hospitalité du personnel médical, on dira ce qu’on voudra, mais quand même, hein.
Bon. Ben, y’a plus qu’à. Evidemment, moi qui passe mes journées à faire des voyages vidange aux toilettes, c’est quand il faut faire pipi que je n’ai absolument plus envie, légèrement bloquée par l’environnement hostile.
Douze minutes plus tard, le flacon est rempli au tiers, et je m’en suis foutu plein les mains. Ouais ouais, c’est ça, rigolez ! Comme si c’était facile de viser juste dans un verre qui fait 6 cm de diamètre. Nan mais la prochaine fois, filez-moi carrément un tube d’échantillon de parfum, comme ça y’aura du vrai challenge !
En vitesse, je me rhabille, me lave les mains (deux fois), et dépose donc mon gobelet sur la fameuse tablette, comme l’a demandé Madame Michu.
Et après, quoi ? Je me sauve ? Je laisse là mon flacon jaune, tout seul, abandonné, livré à la sauvagerie du monde extérieur ?
Ouais, carrément.
Ni une, ni deux, me voilà dans l’entrée. La fontaine à eau me tend les bras, mais je n’ai qu’une envie, c’est de me tirer d’ici au plus vite, des fois qu’une autre personne entre dans les toilettes et ne gueule à travers les couloirs « hé, y’a quelqu’un qui a laissé son pipi ici, c’est dégueulasse ! ».
Ce n’est qu’une fois dehors, à l’air libre, que je tilte sur ce que vient de me dire la standardiste. « A l’année prochaine ».
… Ah parce qu’il faut recommencer ce cirque tous les ans ? Putain…