Bulles de bruit
Paf. La bulle de chewing-gum vient de lui exploser en pleine tronche. Elle l’a pas volée celle-là ! Ca fait bien quinze minutes qu’elle me mastique son bout de glucose mentholé dans les oreilles et qu’elle tente vainement de faire des petites bulles avec. Franchement, à 8h36 un lundi matin, j’aurais pas pu trouver pire comme spectacle dans mon wagon de métro (enfin si, mais j’aime bien exagérer).
Evidemment, pour une fois que j’ai oublié mon Ipod chez moi, je dois me farcir comme voisine de voyage une réincarnation de vache espagnole, qui rumine consciencieusement depuis une dizaine de stations.
Le spectacle visuel en lui-même serait déjà fascinant : bouche ouverte à chaque mastication, mâchoire qui dérape copieusement vers la gauche, sans doute pour se donner un genre. Vous imaginez la pétasse adolescente revêche qui défie l’autorité maternelle du haut de ses douze ans trois quarts et vous avez l’image de ma petite peste de voyageuse.
Mais la garce a décidé de nous gratifier d’un spectacle « sons et lumières », et nous fait bénéficier de la bande sonore qui va avec le décrochage de mâchoire. De généreux « tchlaaaaaaacccc tchlaaaaacccc » bien sonores viennent donc ponctuer un déjà ô combien délicieux tableau. (oui, je sais, je retranscris assez mal le cri du chewing-gum mastiqué de plein fouet, mais je pense que chacun aura déjà une bonne vision globale du truc. Non ?)
La greluche qui lui sert de copine, et qu’on avait fini par oublier dans un coin du wagon tellement le spectacle nous prenait aux tripes, se met soudain à lui donner des conseils : « naaaan, mais faut que tu pousses avec ta langue, faut pas laisser l’air rentrer, sinon ça pète tout de suite, et la bulle se développe pas ». Mazette, c’est technique, ce truc. La punaise a l’air expérimentée en la matière.
S’en suit un long débat sur les pour et les contre de telle ou telle marque, plus efficace selon l’une pour réaliser de belles bulles. C’est passionnant, vous vous en doutez. Dans un coin de ma tête, je réalise à quelle point j’ai oublié les préoccupations vitales de mes années collège. Enfin au moins, pendant que ça jacasse, ça ne mastique plus. Manque de pot, je n’aurai jamais les détails du test comparatif Hollywood / Malabar / Freedent / Stimorol, j’ai du descendre du wagon avant la conclusion de la réunion de consommatrices…
Tout ça pour dire (parce que je voulais quand même dire un truc intéressant, au départ) que sans vouloir faire ma Nadine de Rothschild, un petit détour par les cases « j’apprends à mâchonner mon chewing-gum autrement qu’en ayant l’air d’une carpe » ou « évitez-moi de faire autant de bruit qu’un troupeau de truies affamées quand je me rafraîchis l’haleine », ce serait pas du luxe pour tout le monde.
Le prochain que j’attrape en train de me ruminer dans les tympans, je lui extirpe son chewing-gum de force et je lui étale dans les cheveux. Y’avait qu’à pas m’énerver, aussi...
(Article posté le 9 Octobre 2006).