Début de fin de soirée
La meilleure partie des longs dîners entre copains qui s’éternisent pendant des heures n’est pas celle que l’on croit. Ce n’est pas le premier verre d’apéritif que l’on trinque tous ensemble, sonnant pourtant le commencement d’une soirée riche en bavardages et en saveurs salées-sucrées. Ce n’est pas non plus le grand plat collectif de lasagnes maison que l’on va se partager en faisant semblant de râler que « Sophie, elle a eu une plus grosse part que moi ». Et ce n’est toujours pas ce dessert absolument divin qui arrache des « mmm » et des « aaahhh » orgasmiques à tous les invités. (Cette théorie ne s’applique pas au super fondant chocolat servi tiède, merci d’en tenir compte).
Non, le meilleur commence juste après. Quand tout le monde a la peau du ventre bien rebondie, que les assiettes sales ont été repoussées du bout des doigt au milieu de la table, que les bougies ont fondu de moitié, et que les verres se remplissent pour la cinquième sixième beaucouptième fois parce qu’ « on va bien les finir, ces bouteilles de vin, quand même ».
Là, très souvent, désinhibées par l’alcool, enivrées par l’atmosphère complice et chaleureuse, les langues se délient. L’ambiance feutrée d’un moment passé en agréable compagnie favorise les rapprochements verbaux. Les discussions se font plus personnelles, les confidences plus nombreuses, plus intimes.
… et puis à d’autres moments, ça vire au n’importe quoi.
Du genre – strictement au hasard et sans prendre du tout mon cas personnel – grande envolée métaphysique et moultement argumentée sur « mais quel est donc le message caché que cherche à nous envoyer ce chanteur ? ». Parce que y’en a, des fois, hein, on se demande, quand même.
La dernière cogitation en date s’est d’ailleurs intéressée de très près à « Ohé ohé Capitaine abandonné », fleuron de nos années 80, et monument difficilement détrônable dans le genre « je mets des jolis mots dans ma chansonnette, mais mon truc veut dire que dalle au final ».
Le débat portait, en gros, sur l’orthographe du titre*, qui modifierait tout le sens des paroles. « Capitaine abandonné » voudrait dire que le gars est clairement mal barré sur son radeau et que son équipe de marins s’est taillée la malle. Mais « Capitaine abandonnez », là c’est un ordre (genre le chanteur se permet de ces trucs, déjà), et il demande cash au capitaine en question de lâcher l’affaire parce qu’il semblerait qu’on aille droit dans le mur sinon. (heu… ? mur ? bateau ? mmm, pas sûr.). Avouez que c’est quand même pas pareil !
Bon. Ben un détail comme ça, ça nous a tenu éveillés pendant plus d’une heure, malgré tout. ...Et je ne sais pas si je dois m’en vanter, à vrai dire.
Evidemment, le fait que l’une des phrases suivantes dans la chanson soit « laissez les sirènes au vent salé » ne nous éclaire que faiblement (et c’est peu de le dire) sur le sens philosophique de l’ensemble. Mais c’est pas grave, ça nous fera une piste de réflexion déjà toute trouvée pour la fin du prochain dîner. Chaque dossier en son temps, hein. Si tous les problèmes pouvaient se régler d’un coup, ça se saurait.
Alors ? Chez qui on dîne ce soir, pour résoudre ensemble ce fabuleux mystère ?
* Bon, là, évidemment, vous l’avez écrit sous les yeux, mais quand on se pose la question à minuit et quart à la fin d’un dîner avec quelques verres de vin dans l’estomac, la question prend un sens nouveau. (Quand je vous disais que c’est n’importe quoi, ces fins de soirées…)