On s'était dit rendez-vous dans dix ans
Patrick avait quand même des idées marrantes, à l’époque. Filer rencard à tous ses potes de lycée dix berges plus tard, histoire de voir un peu ce que les uns les autres seraient devenus au bout de tout ce temps, c’était bien digne d’une série d’AB Production comme concept, non ?
N’empêche, ce con, il a fait des émules. A la fin des années 80, on était tous là à brailler en chœur avec nos bandanas et nos Doc Martens « ouais, attends, c’est trop naze son idée, pour qui qui s’prend c’blaireau, j’veux dire, quoi ! », mais force est de constater que les ‘Revival Meeting’ fleurissent de plus en plus. Y’ a donc un sacré paquet de gens qui auraient mieux fait de se la boucler en 1989, en fait.
Remarquez, moi, j’ai fait encore plus fort. Avec mes copains de classe de seconde, on était tellement soudé à la vie à la mort qu’on s’était donné rendez-vous non pas dix ans après, mais en septembre de l’année suivante (ouais, donc juste après les grandes vacances, quoi. Notez l’exploit.), rapport qu’on était nombreux à être dispatchés dans plusieurs établissements pour une sombre affaire d’options d’enseignement ou je ne sais quoi. Bon. Ben le jour J, il pleuvait comme vache qui pisse, et on s’est retrouvé très exactement cinq à se cailler les miches autour de la fontaine du Jardin du Luxembourg. Bravo les veaux. Je vous laisse imaginer le quota de réussite au bout de dix ans, ok ? Alors Patrick, t’es bien mignon, mais tes idées à la con, hein…
Forcément, aujourd’hui, avec tout le barnum mis en place par Facebook, Copains d'Avant et compagnie, c’est le lotobingo quasi à tous les coups. Syndrome « crise de la trentaine » version 2.0. Qui n’a jamais tapoté les noms de ses petits copinous de chat perché de l’école primaire ? Qui n’a pas cherché des informations sur ses ex et découvert avec un certain effroi le statut « marié » et les albums photos remplis de bambins dignes d’une pub Ricoré ? Qui n’a pas trouvé que Vincent avait pris un sacré coup de vieux ou que Marianne avait embelli ? Qui ne s’est pas dit que « pfff, celui-là, j’aurais bien aimé qu’il ne me retrouve pas… » ?
De fil en aiguille, on remonte les traces de notre passé, pour le meilleur et pour le pire. Parfois, l’envie nous prend de recontacter nos anciens potos et d’échanger quelques nouvelles. « Qu’est-ce que tu deviens ? ». Question rituelle à laquelle il n’est pourtant pas si simple de répondre en quelques phrases. Comme le dit Patrick, « on peut pas mettre dix ans sur table comme on étale ses lettres au Scrabble ». On fait le tour de sa vie rapidement, dans les grandes lignes, comme on sortirait son CV devant un employeur potentiel. Profession, situation familiale, loisirs.
Et puis, inévitablement, on reparle du passé. De ces moments communs, de nos souvenirs heureux, de la fois où…, et de celle où tu m’avais dit que… . On évoque dans de grands éclats de rire tout ce qui a fait qu’on a ressenti ce besoin, cette envie de se revoir aujourd’hui.
Et puis après ?
…
Après, le plus souvent, le soufflé retombe et il ne se passe pas grand-chose. Rares sont les fois où les retrouvailles au bout de plusieurs années donnent vraiment lieu à un nouveau roman d’amitié, qui s’élance comme un oiseau (ahem… oui, je suis très ‘femme des années 80’, aujourd’hui). Le présent reprend ses droits, et on range à nouveau dans un tiroir ces jolis souvenirs, auxquels vient s’ajouter le dernier, plus vivace, de ce moment récent partagé ensemble.
En tout cas, tout ça me laisse perplexe. Peut-être que je n’ai pas revu les bonnes personnes. Peut-être que je n’ai pas laissé sa chance au produit. Ou peut-être que je n’ai pas véritablement envie de remuer le passé. Parce que, justement, c’est le passé.
Hé ho, les gars. C’est déjà le bordel le plus complet dans mon présent, et le flou intégral sur mon futur. On va pas non plus réviser toutes les pages du Bécherelle pour se faire une vie plus que parfaite ?!!