Zen, restons zen
Elle insistait lourdement en disant que ça allait m’aider à mieux dormir, à me déstresser, à m’apaiser. En gros, à l’écouter, c’était vraiment « pour mon bien », cette affaire-là. Pfff, mon œil, oui. En fait, c’était juste parce qu’elle n’avait pas envie d’y aller toute seule, à son cours de yoga. Il lui fallait un cobaye numéro deux pour venir tester avec elle les positions grotesques du « scarabée volant » et de la « montagne sacrée ». Et moi, bonne poire, j’ai dit banco. Je me suis dit connement que j’allais voir à quoi ça ressemblait, le « yoga détente ». Bon, bah ok. J’ai vu.
Au départ, ça partait bien. Forcément, faut dire que rester allongée les bras en croix sur le tapis bleu, yeux fermés, à vaguement pioncer en écoutant l’animatrice ânonner des trucs bizarres ressemblant à des incantations, c’était fastoche, aussi. Je tique légèrement quand elle nous demande de nous « décontracter des oreilles », parce que honnêtement, j’ai beau y mettre du mien, je ne vois pas trop comment faire. Mais à part ça…
Vient le moment de faire la bascule avec les genoux, histoire de masser la colonne vertébrale et le bassin. Bon. Moi, je veux bien, mais vu qu’on est supposé caller nos mouvements sur notre souffle, si je m’écoutais vraiment respirer, je ferais des cabrioles dans tous les sens et on se croirait plus à l’école du cirque qu’à un cours de yoga. A mon avis, je ne suis pas encore assez détendue, ça doit être ça. Mais ça va venir, j’y crois dur comme fer. (ahem)
On décale les genoux sur la droite, puis sur la gauche. On garde la pose cinq minutes. Silence de mort. Grouillllllllllllccckkkkk. Ah tiens, non. Mon estomac tient à s’exprimer pile à ce moment-là, dis donc. Surtout ne pas regarder ma copine, ou je pars dans un fou rire incontrôlable. Ouf, elle a les yeux fermés. … Je rêve ou cette espèce de traître arrive – elle – vraiment à se détendre, là ? C’est inadmissible. Remboursez.
Allez, fini l’échauffement, on commence les choses sérieuses ! … Ah bah non, en fait, on reste à quatre pattes. Super. Je commence à trouver le temps super long. Je me doutais bien que c’était pas animé comme un prime de la Star Ac’, un cours de yoga, mais de là à regarder mes ongles pousser en faisant les postures…
Après avoir successivement mimé le chien, le crapaud, le cobra et je ne sais quel autre occupant de l’Arche de Noé, nous voilà debout, prêts à tenter les postures d’équilibre. C’est là que les choses se sont barrées en sucette complet. Parce que moi et l’équilibre, voyez, ça fait un truc genre cinq. Ou six. Je bâcle à peu près toutes les positions, histoire de faire passer la pilule (ni vu ni connu j’t’embrouille), mais la prof m’a à l’œil (c’te garce) et vient me corriger avec moult détails. Tout ça sous l’œil torve de ma voisine de tapis qui joue au héron, perchée sur une seule patte, et qui reluque autour d’elle avec cet air de dire « j’t’emmerde » à tout le monde.
De toute façon, celle-là, je l’ai dans le collimateur depuis tout à l’heure, vu qu’elle inspiiiiiiiiiiiiire, puis expiiiiiiiiiiiiire aussi fort qu’un réacteur d’Airbus 320. Impossible de se concentrer sur sa propre respiration avec un machin pareil à côté de soi. A mon avis, elle ne va pas tarder à décoller. Ou à hyper-ventiler et faire un malaise, au choix. Bam, voilà. T’avais qu’à pas faire le héron hautain, ma fille. Non mais.
Coup d’œil en loucedé à ma montre, plus que douze minutes. On entame la phase relaxation, maintenant. L’autre recommence à nous ordonner de nous détendre du front, des oreilles, du menton et du reste, comme s’il suffisait d’appuyer sur un interrupteur. Pfffiouuu, ce que c’est long, ce cours. En plus, j’ai faim. Et j’ai rien dans mon frigo. Ah tiens, et si je passais chez le traiteur chinois que j’aime bien ? Un petit rouleau de printemps et des raviolis crevettes, et puis aussi… Aaaaaaaah, je suis tirée de mes réflexions existentielles par la voie du sage qui souhaite conclure la séance par le traditionnel « Om ».
Alors là mes enfants, c’en est clairement trop pour moi. Nous entendre joyeusement déclamer ce fameux « Aoooooooommmmmmm » en chœur me rend hystérique, et le fou rire que je retenais depuis le début du cours finit enfin par exploser. Je lutte tant que je peux pour le dissimuler par une fausse quinte de toux (ben voyons), mais copine-traître n’est pas dupe et se marre autant que moi. Autant dire que le cours a été rudement efficace, pour qu’on ait les nerfs tendus comme ça !
Penaude (mais bien détendue du bidou après ma crise de rire), je ramasse mon tapis, le range fissa au fond de la salle, et détalle plus vite que mon ombre de cet antre du mal, persuadée de ne jamais remettre un orteil ici. En sortant, ça débriefe à tout va avec Copinette. Et le verdict n’est pas fameux : ça va bien deux secondes, les gamineries sur tapis, les cabrioles et les imitations du toutou, mais niveau détente, on repassera plus tard, merci bien.
Sauf que… Cette nuit-là, j’ai dormi comme un bébé, ce qui ne m’était pas arrivé depuis des lustres. Hasard ou coïncidence ?
…
Bon. Ben, dans le doute, on retourne au yoga mercredi. Mieux vaut être sûr, quand même.