A priori – et jusqu’à preuve du contraire – je suis une vraie fille. Avec tout ce que ça implique en terme de salle de bain dégoulinante de produits de beauté, et d’étagères à make-up dignes du plus grand Séphora de France. Oui, mais… Jusqu’à la semaine dernière, je n’avais encore jamais mis les pieds dans un vrai institut de beauté. Mes connaissances en la matière se limitaient au passage express chez « Epil Minut’ » ou à une virée au Hammam entre nanas.
Et puis un jour, j’ai eu trente ans. Et des copines bien informées ont eu la bonne idée de m’offrir un soin dans un institut renommé. J’allais enfin perdre ma virginité dans ce domaine…
Ding dong. « Bonsoir, j’ai rendez-vous pour un soin ». Les deux hôtesses de l’accueil, impeccablement brushées et manucurées (what else ?), m’accueillent avec un sourire large comme une banane, me donnent du « bonsoir », du « bienvenue », du « mademoiselle » (bon point) et du « puis-je vous offrir une boisson pour patienter ? » dans tous les sens, le tout dans un quasi-murmure pour ne pas nuire à la quiétude des lieux. J’en trouverais presque ça flippant, si je n’étais pas déjà à moitié shootée par les odeurs d’huiles essentielles qui flottent dans l’air. Bosser dans un spa, c’est mieux que la fumette, on dirait.
Installée sur mon canapé moelleux, je reluque à loisir la beauté des lieux, quand une minette m’apporte en trottinant mon thé fumant et me propose un peu de lecture. Elle est mignonne, celle-là, mais vu que l’éclairage est uniquement fait à base de bougies, je ne compte pas m’esquinter les rétines pour lire un Elle que je reçois de toute façon directement dans ma boîte aux lettres. Je décline poliment, et attrape ma tasse de thé pour regarder l’étiquette. Hé hé, tiens, je l’aurais parié, que ce ne serait pas un vulgaire Lipton Yellow, leur truc.
Ca y est, les odeurs magiques ont fait effet : je suis la Reine de Saba, vautrée sur son sofa, attendant paisiblement d’être bichonnée de la tête aux pieds. Ordre et beauté, luxe, calme et volupté. En gros, je commence à m’y croire sévèrement.
Je n’ai pas fait illusion très longtemps, à vrai dire.
L’esthéticienne chargée de réaliser mon soin vient me sortir de mes pensées, et m’embarque avec elle dans la cabine. Au passage, elle me demande si j’ai besoin de passer aux toilettes avant, « parce que nous allons passer une heure et demie ensemble ». Oh, mais je vois que j’ai affaire à une connaisseuse.
C’est une fois dans la cabine que les choses sont devenues tendues. La fille m’explique brièvement comment va se dérouler le soin, et me demande de me déshabiller entièrement en me tendant un string en papier jetable.
Heu. Oui. Donc « entièrement », c’est ça ? Non parce que j’avais pas vu le truc comme ça, en fait. En même temps, pour ne pas saloper mes sous-vêtements avec l’huile de massage et pouvoir être massée de partout, c’est quand même mieux, n’est-ce pas bien sûr.
Je m’exécute donc et me déshabille, avant d’enfiler ce… cette chose, là. Je refuse catégoriquement d’appeler ça un « slip », vu la tronche que ça a sur moi. Parce que bon, je voudrais pas avoir l’air de la ramener ou de faire ma prétentieuse, mais il faut quand même savoir que ces gentils trucs jetables n’existent qu’en une seule taille. Elastique, certes. Mais tout de même. Et qu’on aurait pu en mettre au moins deux comme moi là-dedans. Résultat, j’ai deux ficelles qui se baladent sur mes hanches, et un vague bout de tissu flottant autour de ma mimiquette. Ridicule. Je me sens aussi couillonne qu’une poule portant un tutu de danse. Dans la famille « godiche », je demande la fille. Oh, bonne pioche !
Histoire de ne pas avoir à trop gambader le cul à l’air, je m’étale rapidement de tout mon long sur la table de massage, et j’attends que madame la technicienne de surface corporelle revienne commencer son boulot. A partir de là, je laisse mes neurones déconnect… pfff, tu parles oui ?!! Dans ma tête, c’est le festival du 14 juillet des interrogations débiles et saugrenues : un vrai feu d’artifice.
- Mais… elle met pas trop d’huile, là ?
- Ca sent chelou, ce truc, non ?
- Ah tiens, elle commence par là, j’aurais pas fait comme ça, moi.
- Haaaaan, j’espère que je suis bien épilée…
- Hé, mais elle m’en colle plein les cheveux, cette garce !
- Oh merde, j’ai pas payé ma mutuelle ce mois-ci.
- Tiens, ça, j’en parlerai sur le blog.
- Non, pas les pieds, je suis chatouilleuse, NON. Ah pardon, vous les avez reçus dans le nez, c’est ça ? Oups.
- Ils pourraient mettre un peu de musique, quand même.
- Ah oui, là, c’est pas mal, aaaaah oui, c’est bien, ça…
- Mmmmm…
- Zzzz zzzzz zzzzz
Oui. Y’a un moment où j’ai quand même fini par décrocher et me laisser complètement aller. Je me souviens juste du petit « et voilà » murmuré au dessus de moi, juste au moment où Georges Clooney me disait qu’une peau si douce méritait vraiment d’être… « et voilà ».
Gnéééé ? (Attends, Georges ! Quoi ? D’être quoi, bordel ? Je veux savoir, laissez-moi finir ce rêve !).
Je redescends de mon nuage (et de la table de massage), les jambes un peu en coton et la tête embrumée (je persiste à penser que la Douane devrait perquisitionner ici, y’a un truc de pas très catholique dans les produits utilisés, c’est obligé).
J’ai le corps gras comme une frite du Quick, mais l’esthéticienne me précise que pour conserver les bienfaits plus longtemps, il est mieux de ne pas prendre de douche en rentrant. Mouiis, très bien, ma cocotte. Mais j’imagine que vous ne prenez pas en charge les tickets de pressing des fringues et des draps imbibés d’huile ? C’est bien ce qu’il me semblait, aussi.
A l’accueil, je remplis béatement une fiche de satisfaction, devant les mêmes hôtesses que tout à l’heure qui, malgré l’heure tardive, ont toujours l’air d’avoir avalé un cintre avec leur sourire figé. En même temps, à voir ma tronche de ravie de la crèche, je ne devrais peut-être pas leur jeter la pierre.
Dans un dernier murmure (j’apprends vite) de « merci la compagnie », je m’emmitoufle dans mon écharpe et regagne le froid et l’agitation de la rue. Fin de la parenthèse enchantée. (Et moi, dans l'histoire, je me suis juste découvert une nouvelle drogue).