Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Gin Fizz
25 mai 2009

Accident de parcours

accident_1Je me souviens de Lui me disant ce matin-là en avalant sa tartine "Oups, déjà 9h, faut qu’on mette les voiles pronto". Je me souviens avoir jeté un dernier regard à mon reflet, peu satisfaite de ma coiffure (une fille reste une fille), me disant que le programme du soir était tout trouvé : shampoing, soin nourrissant et brushing appliqué.

Je me souviens du temps frais mais légèrement ensoleillé, déjà à cette heure matinale, annonçant un pont de l’Ascension très agréable. Les premiers vrais jours de printemps, à Paris. Ceux qu’on guette avec impatience, avec l’envie de ressortir de la penderie toutes ces petites tenues légères, vaporeuses et colorées. Je me souviens avoir pensé, en grimpant à l’arrière du scooter, que c’était vraiment un temps idéal pour se balader en deux-roues, et éviter les couloirs crasseux et sombres du métro.

Je me souviens de nous, à l’arrêt, Lui se tournant légèrement pour me parler au plus près de l’oreille, malgré nos deux casques. Des mots doux et gentils, une blague sur la soirée d’hier, un truc à ne pas oublier de faire dans la journée. Je me souviens avoir ri, et promis de m’en occuper dès mon arrivée au bureau.

Je me souviens de la file de voitures qu’on longeait à allure modérée, pour rejoindre le feu rouge, cent mètres plus haut. Je me souviens de celle, sur notre droite, qui décide brusquement de faire demi-tour, sans regarder dans ses rétros, sans vérifier que la voie est libre. Je me souviens du quart de seconde où je vois venir l’accident, inévitable, incontournable, et penser au fond de moi "oh, merde…".

Je me souviens du bruit de l’impact net et vif du scooter contre l’aile de la voiture. Je me souviens avoir été projetée dans les airs, sans repère, sans contrôle. Je me souviens que la terre semble tourner autour de moi, jeu de cabrioles macabres et involontaires. Je me souviens de l’atterrissage violent sur le bitume, de mon flanc gauche qui absorbe le choc, et du bruit sourd du casque cognant sur le tarmac.

Je me souviens être allongée là, sur le sol, sans pouvoir bouger, ni seulement oser essayer de bouger. Je me souviens de mes pieds nus, desquels mes petites ballerines ont glissé, et de la chaleur qui se diffuse dans mes jambes, mélange de douleur et d’engourdissement. Je me souviens de Lui, déjà relevé, se penchant vers moi pour vérifier que je suis consciente, puis de l’entendre gueuler sur le chauffard abasourdi. Je me souviens d’un autre type sortant de son véhicule, clope au bec, disant qu’il sera témoin, que le chauffard est en faute, et qu’ils ont déjà appelé les secours.

Je me souviens être étendue, par terre, angoissée et sonnée, dans l’attente de quelque chose qui semble mettre une éternité à venir. Je me souviens des badauds qui s’attroupent à quelques mètres de là, et des sirènes que j’entends au loin, chant familier et récurrent de la ville, mais qui prend une toute autre épaisseur lorsqu’on sait qu’elles chantent pour nous. Je me souviens, étrangement, des multiples épisodes d’Urgences ou de Grey’s Anatomy que j’ai pu voir, et je me dis que ça fait bizarre d’avoir l’impression d’être projetée en plein dedans.

Je me souviens des flics, des pompiers et du Samu, actifs autour de moi, qui à me demander ma pièce d’identité, qui à me toucher les orteils pour vérifier que je ressens quelque chose, qui à me triturer la colonne vertébrale et le bassin pour mesurer l’urgence des premiers secours. Je me souviens des premières manipulations de la jambe qui me font hurler de douleur. Je me souviens des secouristes découpant mon jean pour arriver à atteindre les blessures, et de moi pensant connement avant de leur donner l’autorisation de le faire : "C’est un vieux Gap, c’est bon, découpez !".

Je me souviens de leurs infimes précautions pour parvenir à me rallonger droite, sur le dos, et à me hisser sur un brancard. Je me souviens de la mise sous perfusion, de la prise de sang d’urgence, et des contrôles de constantes vitales, effectuées en pleine rue, dans le brouhaha des voitures qui continuent à passer au compte-goutte derrière moi, contrôlées par un agent de la circulation.

Je me souviens ensuite de la mise à l’abri dans le camion des pompiers, afin de procéder à un examen plus minutieux. Je me souviens avoir été contente d’avoir choisi des sous-vêtements plutôt jolis ce matin-là, tandis que les médecins tentent de me déshabiller pour placer des électrodes sur tout le corps. Je me souviens avoir demandé de Ses nouvelles, pendant qu’il se faisait ausculter de son côté, et demander à pouvoir prévenir mon bureau, pour dire que non, aujourd’hui, je ne viendrai sans doute pas travailler…

Je me souviens du transport vers le service des urgences le plus proche, des soubresauts du camion à chaque irrégularité du bitume, ravivant la douleur malgré l’attelle de protection placée en attendant sur la jambe droite. Je me souviens du brancard défilant sous les néons blafards des couloirs de l’hôpital, de cette odeur indéfinissable qui rode en permanence dans les établissements de soins.

Je me souviens des nombreuses prises de sang, piqûres anti-tétanos, contrôles de tension et de battements cardiaques. Je me souviens des radios et des scanners pris sous tous les angles. Je me souviens des compresses de Bétadine venant nettoyer et désinfecter les multiples plaies et écorchures.

Je me souviens de l’attente, longue, douloureuse, interminable, tout en Lui tenant la main. Je me souviens de l’angoisse, de l’imagination du pire des scénarios. Je me souviens des quelques larmes qui, enfin, finissent par couler sur mes joues, retenues si longtemps par le choc et l’enchaînement des événements.

Je me souviens du verdict du médecin chef : fracture du genou droit, légère fracture à la hanche gauche, lésions au foie, multiples plaies, hématomes et contusions. L’opération de la jambe est écartée pour le moment. Immobilisation du genou par quarante-cinq jours de plâtre minimum (de la cuisse à la cheville), des injections quotidiennes, et du repos. Beaucoup de repos.

Je me souviens avoir pensé à tous mes projets qui ne pourraient pas se réaliser tout de suite, à tous les week-ends programmés pour cet été, qui d’un coup cédent la place à une immobilisation forcée chez moi, cloîtrée derrière mes fenêtres, à ne pouvoir profiter du soleil que par procuration. Je me souviens aussi avoir pensé que, dans mon malheur, j’étais chanceuse, et que les conséquences auraient sans doute pu être pires.

Je me souviens, même si j'aimerais oublier. Et l'écrire ici m'aide simplement à accepter les choses du mieux que je peux.

Publicité
Publicité
Commentaires
L
Je suis bouleversée par ton témoignage qui me renvoit (mot pour mot, situation pour situation, sensation pour sensation) à mon accident de scooter le 7 février 1994. Mon genou (gauche) a vrillé, rupture de tous les ligaments et écrasement des ménisques. Mon casque m'a sauvé la vie. j'ai été opérée, 21 cm sur le côté et 10 cm devant défigurent ma jambe pour toujours. Désolée si je fais remonter ce message, comment ça va aujourd'hui 1 an 1/2 après ?
C
J'arrive bien en retard Katia, mais j'espère de tout coeur que tu vas mieux. <br /> J'ai eu la chair de poule en te lisant. Prends bien soin de toi et que de bonnes choses à venir!
B
Bon courage, mais vu le texte que vous avez pu écrire, je pense que vous n'en manquez pas.<br /> Car dans cette écriture on peut percevoir du courage, de la volonté, de l'ordre et du talent.<br /> De plus, mettre sur papier son ressenti aide aussi à guérir, ça ne peut faire que du bien.<br /> Bien cordialement.
K
Encore une fois, MERCI à vous tous pour vos petits mots chaleureux ! :)
C
De tout coeur avec toi. Bon courage et bon rétablissement
Publicité