Douze mois d'émoi
C'était un matin de novembre, il y a juste un an. Au réveil lugubre d'une soirée tragique et éprouvante, tu as décidé de pointer ton petit museau dans ce monde choqué et anesthésié. Un peu pour nous faire oublier toutes ces horreurs, un peu aussi parce que ton heure était arrivée, tu as débarqué, sans tambour ni trompette, comme pour nous dire qu'il devait y avoir un "après" tout ça, et que la vie suivait son cours.
Ces premiers moments avec toi, je les ai traversés tiraillée entre mon émerveillement pour toi, douce poupée réconfortante, et le flot incessant d'informations terrifiantes au sujet de cette insupportable nuit du 13 novembre. Je me revois, seule avec toi dans ma petite chambre à la maternité, le nez dans ton cou mais les yeux rivés sur la télévision, abrutie et ébêtée devant les mêmes images en boucle, encore et toujours, sans pourtant être capable d'éteindre le poste. Et je me souviens très bien avoir pensé ce jour-là que, même avec un jour d'écart, ton anniversaire serait toujours associé à cette date noire. Plus tard, je me suis même surprise à dire aux gens que tu étais née "le lendemain matin du 13 novembre", au lieu de dire tout simplement "le 14". Comme si les événements étaient liés, d'une façon ou d'une autre.
Et finalement, ce n'était pas si faux. Que je l'aie voulu ou non, que j'y aie pris garde ou pas, tu as ressenti et partagé toutes mes angoisses, tout mon stress et toute mon insécurité éprouvés juste avant ta venue et pendant nos premiers jours de rencontre.
Mais ce n'est qu'en te voyant grandir que j'ai compris à quel point il avait été difficile pour toi de venir au monde en percevant toute l'anxieté de ta mère, et la sentir à la fois si attentionnée envers toi, mais parfois si lointaine aussi.
Les psys et les pédiatres à qui j'en ai parlé l'ont tous confirmé : tu as toi aussi éprouvé une très grande insécurité. De mois en mois, tu as nettement manifesté ton besoin accru de ma présence, ton désir d'être portée, sans cesse rassurée, câlinée, tranquillisée. A tel point que j'en ai été parfois étouffée et exaspérée, c'est vrai.
Aujourd'hui, tu restes encore une petite fille qui, à moins de tomber de sommeil, n'arrive pas à s'endormir seule, sans qu'on te tienne la main ou qu'on te caresse la joue. Mais les choses se sont apaisées.
Petit zébulon qui ne tient pas en place, tu as très bien su trouver la tienne au sein de notre home sweet home. Blondinette aux yeux clairs autant que ta soeur est mate de peau aux yeux sombres, mais avec ces mêmes cils de biche démesurés qui me rendent un peu jalouse. Un caractère déjà bien trempé et affirmé, du coffre à nous en faire péter les tympans quand tu hurles que tu as faim, et des sourires distribués à volonté quand tu es bien lunée.
Une petite fûtée qui, à mon grand malheur, a déjà compris comment on enlève les capuchons des feutres, qui raffole des télécommandes en tout genre et qui sait réclamer un nouveau boudoir en me tendant le paquet encore sous cellophane, genre "je voudrais bien un autre de ces trucs pas mauvais, s'il te plait".
Après quelques mois plutôt circonspects, ta grande soeur commence à entrevoir en toi sa future 'best friend ever'. Oui, tu lui piques ses jouets et tu lui planques ses feutres sous le canapé, mais elle s'exerce sur toi pour raconter ses histoires rocambolesques et assouvir son penchant 'maîtresse d'école qui donne des ordres'. Et moi, qui ai eu deux frères (jumeaux) mais pas de soeur, je suis heureuse de pouvoir observer à travers vous deux ce lien unique et ces éclats de rire à deux voix.
Déjà douze mois de toi, de nous, d'une vie à quatre souvent rock'n roll mais mille fois plus jolie aussi... Alors oui, ma croquette, on n'oubliera sans doute jamais de pleurer les 13 novembre à venir, mais on fera en sorte que les 14 soient des lendemains qui chantent plus fort, plus juste, et qu'ils soient aussi radieux et enchantés que tu le mérites.
En mémoire de H., J., M., H. Pour eux, pour tous les autres.